A Propos De La Guerre en Ukraine : Geographie Et Histoire
Sommaire
Café stratégique du 27 septembre 2022
Conférencier : Roger DUBURG, Ancien directeur adjoint de la Délégation aux Affaires Stratégiques du ministère de la défense.
Avant-propos #
Cet article est tiré de mes notes lors d’une conférence. Certaines informations peuvent être incomplètes. Je ne fais ici que restituer du mieux que je peux ce que j’ai compris. Ceci n’est ni une prise de position, ni un article journalistique sur le conflit en cours. Le but est de transmettre l’information et d’en faire profiter le plus grand nombre en la rendant accessible au plus grand nombre.
C’est la géographie qui dicte la politique des Etats - Napoléon #
En France, nous sommes mal placés pour savoir ce qui se passe en Europe Orientale. L’Europe de l’ouest, et plus encore la France, ont un environnement homogène du point de vue de la géographie. Les frontières naturelles sont nombreuses et ne sont pas propices à des affrontements entre voisins, à la différence de l’Europe de l’est.
En effet, on peut vulgariser l’Europe Centrale et de l’est comme étant une grande plaine s’étendant de la Baltique jusqu’à la mer Noire, de l’Allemagne à l’Oural. Cette géographie est plus propice à des affrontements car il est plus difficile de découper les territoires. Pour illustrer cela, on peut citer les arméniens et les kurdes qui sont deux peuples qui n’ont pas eu de territoires à l’issue de la première guerre mondiale. L’Arménie est aujourd’hui attaqué par son voisin l’Azerbaïdjan et les kurdes sont considérés par les Turques comme des terroristes revendiquant un territoire.
L’Ukraine, problème géographique et berceau slave #
L’Ukraine a très peu de frontières naturelles. Elle a aussi un déficit d’Histoire, de nation, un désir d’Europe depuis quelques années et est un enjeu russe. Ce pays est considéré comme le berceau des pays slaves ; c’est La Rus’ de Kiev. Décrite en son temps comme trop puissante, riche et vaste pour perdurer, c’est le premier état slave de l’Histoire. Kiev en était la capitale, avec l’arrivée des mongols, l’empire est détruit et Kiev quasiment rasée. Une partie de la population se replie plus au Nord et fonde Moscou.
Entourée d’états puissants, l’Ukraine n’avait d’autre choix que de se soumettre à l’un de ses voisins pour y trouver un protecteur, disait Voltaire en son temps.
Un pays chargé d’Histoire #
Entre 1931 et 1933, Staline organise la mort par la faim du peuple ukrainnien. Il y a entre 3 et 5 millions de morts de cette famine, particulièrement dans l’est du pays. Cette même partie qui sera repeuplée ensuite par d’autres personnes venues du Nord. Durant la seconde guerre mondiale, les pertes ukrainiennes sont supérieures aux pertes américaines, britanniques et françaises réunies.
En 1994 est acté le dénucléarisation de l’Ukraine, 1000 têtes nucléaires sont transférées en Russie. En 2014 les “néo-nazis” russophobes ont fait un coup d’état, selon les russes, randant caduc cet accord à leurs yeux.
En 2001 le pape de l’époque, durant son voyage en Ukraine, rappelle au peuple ukrainien leur désir d’indépendance. En 2013 la révolution en Ukraine débute et en 2014 des manifestations russes contre l’indépendance de l’Ukraine ont également lieux.
Depuis 2014, il y a une affirmation de la nation ukrainienne ainsi qu’une obsession de sécurité. Pour Poutine, ce pays n’est pas un état, c’est un peuple frère et la guerre se veut comme un “rétablissement du cours naturel des choses en Ukraine et au-delà”.
Les craintes et la vision du voisin russe #
A Moscou, on craint la contagion démocratique, comme cela a été le cas en Ukraine. Le pouvoir en place ne veut pas voir les mêmes révoltes qu’en Ukraine, en Biélorussie ou au Kazakhstan.
En février 2022, la guerre est déclarée, une première en Europe depuis 1945. Pour les russes c’est davantage une guerre intra étatique, une guerre civile, qu’un conflit entre deux états. La seule paix dans une telle guerre, c’est la paix par le cimetière, l’extermination, ou l’exil. L’idée serait de faire peur et de faire fuir les gens, cela peut expliquer pourquoi les russes tirent aux missiles ballistiques directement à l’intérieur des villes. Il y a une volonté de faire peur, de faire fuir ceux qui le peuvent et d’exterminer les résistants.
Les limites du modèle russe #
Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés que rencontrent les russes sur le terrain :
- une vision stratégique et politique érronée
- un adversaire sous estimé
- une usure anormalement rapide de l’armée russe
- difficulté de communication entre les troupes
Aujourd’hui, le constat est que l’outil militaire russe est à la limite de la dislocation selon le conférencier. La planification est hasardeuse et elle peine à se rétablir sur les lignes. Les pertes sont également considérables, tant humaines que matérielles ; c’est une succession de fautes stratégiques et tactiques.
En Russie, l’armée ne possède pas de sous-officier. Cela implique que le soldat dépend directement de l’officier, qui ne connaît pas forcément bien le terrain. Les raisons de ce manque peuvent être expliquées par une peur de la révolte de ces gradés qui pourrait ammener à un coup d’état.
On peut également citer une certaine précipitation du pouvoir russe. Le retrait en Afghanistan a été un aveux de faiblesse de la part des occidentaux, la Russie en a profité. Il est probable que Poutine n’ait pas anticipé les actions des Occidentaux.
Bilan (fin septembre 2022) : 50k soldats tués, 80k hors de combat, 2200 chars de combats…
Le monde vu du Kremelin #
C’est la vision des tsars, on regrette l’effondrement soviétique. L’impératif Russe est de protéger Moscou qui est envahie et pillée une fois par siècle. Il y a une attirance et une répulsion vis-à-vis de l’Ouest.
Au cours therme il faut regagner de la profondeur stratégique et exploiter les faiblesses des occidentaux. En 1945, il y a eu un premier élargissement vers l’ouest (états baltes). Au milieux des années 1990 c’est l’élargissement de l’alliance atlantique vers l’est suivie de l’élargissement de l’Union Européenne qui domine.
Aujourd’hui, le virus démocratique atteint les anciens pays soviétiques (Biélorussie, Géorgie, Ukraine, Kirghiztan…). Ces états, dirigés essentiellement par un pouvoir autoritaire, font régulièrement appel aux russes pour maintenir le pouvoir en place.
Les russes ont développé le concept de “l’étranger proche” ; si l’on parle russe, que l’on a la culture russe, on est russe et on bénéficie de l’aide russe. Ils ont également développé le concept de guerre non-linéaire, qui est caractérisé par un emploi des forces armées conventionnelles, même pour une grande puissance nucléaire.
La fin du lien transatlantique #
Les relations se sont tendues entre les USA et l’Europe, en particulier lors du mandat de Trump. Biden pourrait être un “retour de l’amérique”. Cependant, rien ne garantit que la vision de l’administration Biden ne perdure au delà de son mandat. L’avenir de l’UE et de l’OTAN se joue aujourd’hui aux frontières de l’Europe. Nos institutions sont-elles suffisemment fortes pour riposter ? Non selon le conférencier.
Le voisin chinois et la communauté internationale #
Le rapport de force est bien différent avec la Chine. La Sibérie est bien vide devant l’appétit chinois. Le soutiens chinois à la Russie est critiqué au sein du parti unique chinois et les critiques de cette “amitié” sont de plus en plus visibles. Le rapport démographique est également largement en faveur de la Chine, de même que pour la puissance militaire et économique.
A noter que la Chine s’est abstenue lors du vote à l’ONU pour la condamnation de l’action russe (141 pour, 5 contre, 35 abstentions), tout comme l’Iran et l’Inde. Selon le conférencier, le vote d’abstention est aussi un vote chinois. Toute l’Asie centrale a suivi ce vote non-aligné. Les pays de l’OTSC (mini OTAN russe), n’ont en majorité pas voté contre la condamnation de l’action de Poutine. Pire que cela, cette opération pourrait avoir entachée les relations entre ces pays. Lors de sommets qui ont eu lieux dans la région, on a pu voir le président de l’Ouzbékistan faire attendre Poutine.
Salon le conférencier, cet affrontement ne pourra pas se terminer autrement que par l’effondrement de l’une ou l’autre des parties. Selon lui, le régime de Poutine est le plus prompt à s’écrouler.